Dans quelques jours, je vais atteindre l’âge glorieux de 45 ans et 24 mois. Et pourtant, depuis hier et ce jusqu’à 11 heures aujourd’hui, j’ai 5 ans. J’ai 5 ans dans la ville-lumière.
Quand j’étais petite et que je montais sur Paris avec ma mère pour aller passer un week-end chez son amie, c’était toujours une aventure. Je découvrais des gens, des lieux, des odeurs qui m’étaient inconnus et dont le souvenir me poursuit encore aujourd’hui. Des appartements biscornus aux odeurs étranges, une ville inconnue et trop grande pour l’envisager dans ma tête de petite campagnarde. À cet âge, chaque excursion hors de soi et de son propre monde est un moment précieux, une madeleine de Proust qui se rappelle à nous quand les conditions sont réunies.
Depuis hier, je me gave de l’intégralité du plateau de madeleines. Quand mon amoureux m’a proposé de le rejoindre pour une soirée au Quartier Latin, j’étais vraiment excitée de passer ce temps avec lui. Maintenant que je suis sur le retour, je me rends compte à quel point cette ville m’avait manquée. Ses rues pavées hostiles aux talons des dames, son énergie frénétique, les odeurs, les bruits, les lumières. Tout ce qu’en province, on déteste, ici j’en redemande.
Et à bien y réfléchir, je me rends compte aujourd’hui qu’à chaque nouveau voyage apparaissait ce personnage qui prenait possession de mon corps dès que je franchissais les portes de la ville. Que ce soit au volant de mon bolide sur les autoroutes franciliennes, où je tentais de naviguer comme si j’avais toujours vécu là, ou à la sortie du train, où je prétendais savoir exactement où j’allais, maîtrisant le réseau de métro comme si je l’avais dessiné. Comme si je m’étais toujours interdite de “faire la provinciale”. Je me rappelle encore me moquer de ma mère qui regardait la Tour Eiffel avec émerveillement, moi-même refusant de lever le nez, la traitant de touriste. Sur Paris, personne ne devait savoir que je n’étais pas des leurs. Pas le droit de se perdre, de flâner, de se démarquer.
Me revient le souvenir d’un week-end avec mari et enfants où j’avais entendu Mister Man, qui pourtant était né en région parisienne, dire aux enfants : “Suivez maman, elle, elle sait où on va 🤣”.
Hier soir, plongée dans le quartier latin, j’ai enfin compris ce que je m’étais interdit toutes ces années. J’avais le droit d’être émerveillée moi aussi. J’avais le droit de faire ma touriste, de regarder les monuments avec la révérence que leur beauté architecturale exige. Alors, avec mon amoureux, on a assumé jusqu’au bout et on a décidé de se faire un restaurant sur une péniche. Apéritif devant le Louvre, entrée sous la Tour Eiffel, plat de résistance en faisant coucou à la statue de la Liberté, le tout entourés d’anglais et d’américains. En rentrant à notre hôtel, alors que la façade de la Samaritaine s’éclairait des lumières de Noël, j’ai croisé mes premiers rats parisiens et j’avoue, j’ai autant kiffé qu’en revoyant la grosse dame briller de mille feux.
Ce matin, sur le chemin vers Montparnasse, en passant par le théâtre l’Odéon et la Sorbonne, j’avais envie de m’asseoir sur un trottoir et regarder les pigeons mener leur danse, regarder les gens mener leur vie. Et seule au milieu du chaos, de la musique dans les oreilles, le vent frais sur mon visage, j’ai décidé de réconcilier la parisienne et la provinciale. Plutôt que de les opposer, j’ai préféré les autoriser à vivre leur réalité en même temps. Slalomer entre les vélos et les passants en s’autorisant à s’arrêter pour prendre une photo ou deux, attendre que la rame bondée arrive à destination en observant les gens, courir dans les couloirs du métro en regardant toutes les affiches des pièces de théâtre et des expos à venir. Arriver à Montparnasse et m’autoriser à flâner et admirer les décorations de Noël et la tour avec sa tête dans les nuages.
Cela me rappelle cette phrase de Nick Carraway dans Gatsby le Magnifique : “J’étais dedans et dehors, fasciné et écœuré tout à la fois par l’inépuisable diversité de la vie.” Cette impression de dissociation, d’être à la fois actrice et spectatrice du ballet parisien, la désillusion du personnage en moins.
Alors, en m’installant dans le fauteuil en 1ère classe que mon chéri m’avait réservé, je me suis rappelé que s’émerveiller faisait partie des petits bonheurs de la vie. Que quelques fois, la vie vous faisait de beaux cadeaux, sous des formes inattendues, et qu’il ne tenait qu’à nous de les saisir, même si on ne pense pas les mériter. Quelques fois, le cadeau, c’est une soirée sur Paris, tous frais payés par son amoureux. Et quelques fois, c’est l’excitation de voir Ratatouille sortir de sa poubelle accompagné de toute sa famille ^^
Et les deux me vont bien en fait !


