J’ai deux petits zèbres à la maison. Entendez par là deux enfants précoces, surdoués, à haut potentiel, vous choisirez l’étiquette.
Pourquoi j’en parle ? Pas pour me vanter, parce que je n’y suis pour rien et eux non plus. J’en parle pour que ceux qui sont passés par là ou qui ont la chance d’avoir ces bêtes à rayures chez eux puissent comprendre ce qui se passe dans leur petite tête.
Parce que ce n’est pas facile à porter, ce costume. Ce n’est pas nécessairement synonyme de bonnes notes, d’enfants sages et matures à la conversation pointue.
C’est aussi synonyme de souffrance pour ces enfants qui comprennent tout, qui comprennent trop mais qui n’ont pas d’armure face à la dureté des enfants de leur âge.
Mister Pachou est un zèbre docile, scolaire, discret. Bon camarade, un peu solitaire, le genre à ne pas se faire remarquer. Ca ne l’a pas empêché d’être victime des moqueries de ses camarades depuis la grande section. Monsieur je-sais-tout, l’intello, le pleurnicheur et j’en passe. Parce qu’il avait appris des choses et voulait partager son savoir. Parce qu’il pleurait à la moindre contrariété, dû à son hypersensibilité.
Les instituteurs, peu ou pas formés à ce type d’enfants, ont laissé couler, parce qu’il ne posait pas de problèmes en classe. Il savait lire à 4 ans ? C’est bien, ne faisons rien de plus. Il s’ennuie en classe ? Oui, mais au moins il ne fait pas le bazar.
Puis le jour où il commence à frapper les petits, pour faire comme les autres, on fait venir le psychologue scolaire. Pour une fois qu’il se comporte comme un enfant de son âge. Diagnostic du professionnel : Il a des réactions disproportionnées par rapport aux événements. Merci, on le savait déjà. Et maintenant on fait quoi ?
Aujourd’hui, à 13 ans, il s’est forgé une carapace, même si les brimades continuent de fuser de temps en temps. Il a appris le mépris, mais son petit cœur reste à vif.
Miss Carotte, on le sentait, était d’un bois plus dur. Forte en gueule, présence imposante, en demande constante d’attention. Faire du bruit pour qu’on ne l’oublie pas. Le genre de gamine à qui on ne la fait pas.
Et pourtant, Miss Carotte est rentrée ce soir en pleurs, parce qu’un cours sur le harcèlement lui a remis en tête qu’elle en était victime jour après jour, depuis ses neuf ans. Parce qu’elle utilise correctement les mots de la langue française, parce qu’elle a eu le tort de sauter une classe et surtout parce qu’elle se comporte non pas comme la gamine de onze ans qu’elle est extérieurement mais comme l’ado de seize ans qu’elle est à l’intérieur.
Quand elle est rentrée ce soir, elle m’a dit ces mots : « Maman, je suis comme un miroir, quand les gens m’insultent, je prends les coups et je pense qu’à force, je vais me briser. »
Je vous souhaite de ne jamais avoir à entendre ces mots sortir de la bouche de votre enfant.
Elle subit constamment des insultes de la part de ses camarades. Pute, parce qu’elle a la démarche d’une adolescente dans le corps d’une enfant. Tricheuse, parce qu’on ne peut sauter une classe qu’en trichant, apparemment. Pétasse, parce qu’elle a développé très tôt son propre style vestimentaire et qu’elle se démarque des autres.
Je n’ai d’autre consolation à lui offrir que de lui assurer que la situation changera au lycée. Mais le lycée, elle l’attend depuis trois ans et cela ne la console plus. Elle voudrait que je trouve une solution pour qu’ils arrêtent mais je n’en ai pas. Parce que ce genre de comportement passe par l’éducation, et que je ne peux rééduquer l’intégralité de son collège.
Nous ne demandons la pitié de personne, nous gérerons en famille comme nous l’avons toujours fait, en leur inculquant le respect et la tolérance dont ils ne bénéficient pas.
Si votre enfant rencontre ce genre de problèmes, ne l’ignorez pas, soutenez-le, accompagnez-le, écoutez-le. Parce que les mots sont des armes mais aussi d’incroyables pansements.
Si votre enfant fait partie du problème, ne le laissez pas tomber. Parce que lui aussi est peut-être en souffrance. Parlez-lui, apprenez-lui la tolérance. Dites-lui qu’on est tous différents et qu’on mérite tous le respect.
On met nos enfants au monde en pensant qu’on saura les protéger de tout, mais la vie nous ramène rapidement à notre impuissance. Alors on se contente de faire ce qu’on sait faire le mieux : on les serre très fort contre notre cœur de parent et on leur assure que tout finira par s’arranger.