Pendant quelques mois, j’ai vécu une relation que j’ai eu énormément de mal à qualifier, pour plein de raisons. C’était une relation dans laquelle j’étais rentrée à un moment de ma vie où me rendre exclusive m’était impensable. Je sortais d’une relation monogame de plus de 25 ans et j’avais un besoin viscéral de me réapproprier mon corps et ma liberté, par tous les moyens disponibles.
Quand cet homme est rentré dans ma vie, j’étais en relation non exclusive avec un partenaire qui était important pour moi, et que je ne voulais évincer pour rien au monde. Alors quand, au détour d’une discussion whatsapp, il me pose la fameuse question de la monogamie, qu’il ne souhaitait absolument pas, je me suis dit Banco ! Enfin un mec qui ne veut pas me retenir, qui ne me fera pas de scène parce que je vois quelqu’un d’autre et avec qui je pourrai m’épanouir dans cette liberté retrouvée.
Mais c’était sans compter sur ma tête, mon coeur et mes tripes, qui ont senti en lui le miroir d’un trauma très ancien, bien enfoui et que je me suis empressée de dérouler sans même m’en rendre compte. Car à vouloir jouer à ce que je ne suis pas, je me suis retrouvée prise à mon propre piège. Comme ma tête sentait une connexion et mes tripes une sensation familière, il s’est vite retrouvé en première place de mes conquêtes. Quels que soient les hommes que j’ai pu croiser par la suite, aucun n’avait la saveur, l’excitation et la paix que cette relation pouvait m’apporter. Les montagnes russes émotionnelles non plus. Parce que moi qui fouille, dissèque, analyse, et qui peux me suradapter pour plaire, je me retrouvais avec un homme qui avait décidé de prendre la vie comme elle arrivait, en se centrant totalement, et surtout en ayant le moins d’attaches émotionnelles possibles avec le monde qui l’entoure. Et ça, ça m’a fasciné autant que terrifié.
Alors attention, je ne dis pas que cet homme ne ressentait rien ou que rien ne le touchait, mais j’ai le sentiment qu’il avait un jour pris la décision consciente de vivre sa vie en se détachant au maximum des contingences émotionnelles qui nous lient. Ce qui, pour lui, venait à signifier « pas de couple », « pas d’investissement » et aucune dépendance affective. C’était en tout cas son discours.
Quid alors d’une relation autour de ces prémices ? Et surtout, quid d’une relation entre moi, qui voulais être choisie, vue, reconnue, désirée et courtisée et lui, qui mettait les gens dans des cases et compartimentait toute sa vie ? En gros, comment survivre dans une relation anxieux/évitant ?
Bizarrement, c’est la première fois de ma vie que je me retrouvais dans ce type de relation. On aurait pu penser à un schéma répétitif mais mon ex-mari était tout sauf évitant, et je me retrouvais à découvrir cette dynamique à 45 ans passés, sans expérience et sans airbag pour y survivre. Alors soyons clair, les premiers mois ont été parfaits. Je le voyais régulièrement, on était en contact constant et je pouvais continuer, sans état d’âme, à voir d’autres personnes à côté. Lui ne me demandait rien, et c’était finalement mes autres partenaires qui me posaient le plus de problème. Le problème principal étant que je ne ressentais pour eux qu’une trace infime de ce que je ressentais pour lui. Et au bout de quelques mois, la fatigue aidant, je me suis demandé à quoi servait d’entretenir des relations bancales et peu nourrissantes plutôt que de me concentrer sur celle qui me faisait m’élever.
Alors, de moi même, je me suis rendue exclusive. Sans demande de sa part, sans forcément le verbaliser, mais je préférais ressentir moins souvent mais mieux. Et puis s’est posée la question du « moins souvent ». Comment un homme avec qui j’avais une telle connexion – et nos échanges me laissaient à penser qu’il ressentait quelque chose de vrai de son côté aussi – comment, donc un homme avec qui j’avais une telle connexion se contentait de ne me voir que quelques nuits par-ci, par-là ? Nous avions eu l’occasion d’avoir LA discussion, le « on est quoi ? » dont je n’avais pas forcément apprécié la réponse. On était un truc sympa, sans prise de tête, sans routine, sans attaches, sans engagement et donc sans implication.
Et c’est à ce moment que je me suis rendue compte qu’il m’avait compartimenté comme pour tout le reste. Il m’avait mis dans une case, toute jolie et confortable, avec du papier peint au mur et de la belle moquette. J’entendais les autres personnes dans leurs cases respectives, j’avais de leurs nouvelles de temps en temps, mais sans jamais les rencontrer. Il venait régulièrement vérifier que tout allait bien, et quand je faisais mine de me rebeller, il m’ajoutait un ou deux coussins, quelques fioritures et deux ou trois miettes de pain pour me retenir. Je me rendais bien compte que je ne vivais qu’à l’orée de sa vie, mais comme beaucoup de ses amis ou connaissances. Les amis d’enfance avec les amis d’enfance, les collègues avec les collègues, les plans cul avec lui seul. Cela lui permettait de garder le contrôle. Pas pour exclure, mais pour préserver.
Loin de moi l’idée de l’en blâmer parce que m’étais rendue compte, lors de mes introspections, que je faisais exactement pareil. J’avais tenté de l’amener sur le terrain de mes amis, eux aussi très bien compartimentés, et à chaque refus de sa part – refus toujours très cordial et bien explicité – je lui en voulais de ne pas faire l’effort. Tout ça pour que, à l’issue de la dite soirée, je me félicite qu’il ne soit pas venu car je n’étais finalement plus sûre d’assumer en sa présence le masque que j’avais porté ce soir-là.
Je pense que l’un des difficultés majeures que j’ai pu rencontrer dans cette relation c’est qu’il n’y a jamais eu un gramme de véritable toxicité. Tout avait toujours été clair, de son côté, sans aucune promesse, aucune projection, aucun « on se voit bientôt ? » à l’issue de nos dates. Et de mon côté, j’avais joué le jeu pour le garder. Parce que nos soirées étaient magiques, intenses, drôles, et surtout vraies. Quelles difficultés avais-je rencontrées alors ? Et bien que justement, cette clarté m’interdisait de demander quoi que ce soit. Pas de week-end, pas de soirée romantique, pas de présentation aux potes, et surtout, pas de projection dans quelque futur que ce soit. Pas de régularité imposée, peu de concessions parce qu’on ne se devait rien. Et cette situation en soit, était devenue toxique. Parce que floue au possible. Si, au départ, elle m’avait donné une impression de liberté, je me suis très vite compte que le partenaire le moins investi prenait le contrôle de la relation. Il décidait de l’emploi du temps, il temporisait, il faisait patienter. Et à la moindre velléité, il balançait la phrase ultime : « on peut arrêter si c’est trop compliqué pour toi »…
Sauf que je ne voulais pas arrêter. Je voulais continuer, faire évoluer. Je voulais tellement plus de mouvement, plus d’amplitude, que j’en devenais stratège. Avouons-le, j’ai tenté de jouer aux échecs avec un jeu de dames.
Dieu sait que j’en ai passées, des soirées à réfléchir à cette dynamique, à m’en accommoder, puis à pester sur ma faiblesse en me promettant de tout arrêter à notre prochaine rencontre… pour finalement tout oublier dès qu’il m’envoyait un message. Alors je m’étais fait une promesse : de vivre ce que j’avais à vivre, d’apprendre le plus que je pouvais, d’accepter de souffrir s’il le fallait, mais d’aller au bout de cette relation. De ne pas partir par peur – peur de souffrir ou de me perdre – mais quand j’aurais suffisamment évolué pour partir apaisée. Parce qu’on n’évolue pas dans le confort. Et qu’on ne vit pas en ne ressentant rien. Mais surtout, partir sans apprendre, c’était prendre le risque de revivre une nouvelle fois cette même situation et d’en tirer les mêmes conclusions.
Et puis, un jour, une attente de trop, la case est soudainement devenue bien trop petite. Ou du moins, je me suis rendue compte qu’elle peinait à contenir toutes mes angoisses et la rancoeur accumulées au fil des mois. Le papier peint était devenu terne, la moquette rêche, les coussins inconfortables. C’est à ce moment-là que j’ai décidé d’arrêter. Parce que la leçon avait été apprise. Et qu’il était temps de partir.
J’aurais voulu être forte, avoir un dernier rendez-vous où nous aurions débriefé, fait le bilan, mais je n’ai pas réussi. Je n’ai pas posé les questions qui me brûlaient les lèvres parce que j’avais la désagréable impression d’avoir déjà les réponses, et que les entendre de sa bouche m’auraient fait plus de mal que de bien. Alors nous nous sommes quittés sur cette note un peu amère, d’un potentiel qui n’aurait jamais l’occasion d’exister.
J’ai archivé sa discussion, sans avoir le courage de l’effacer, non parce que j’avais envie de le recontacter, mais parce que je ne pouvais pas effacer ce qui avait vraiment compté.
Aujourd’hui, cela va faire 3 mois que cette dernière discussion a eu lieu, et si j’avais débuté cette relation en sachant ce que je ne voulais pas, je repars aujourd’hui en sachant exactement ce que je veux. Et en sachant exactement ce que je vaux. Et je sais que cela n’aurait pas été possible si j’avais quitté le jeu avant la fin.
Peut-être qu’il lira ce texte, avec lui, on ne peut jamais vraiment savoir. Et sans doute qu’il se reconnaîtra. Mais s’il passe par là, je veux qu’il sache que je ne regrette rien de ce qu’on a vécu, que même si notre expérience aura forcément été différente et qu’il ne se retrouve pas dans la description que je fais de lui, je lui souhaite le meilleur, parce qu’il le mérite. Parce qu’on le mérite tous, qu’on y croit ou pas.