Le vent se lève et frappe les parois de la tente. Au loin, le grondement caractéristique d’un orage en approche. Le tonnerre roule, résonne sur les parois rocheuses des montagnes environnantes. Il encore loin, il gronde sourdement mais sûrement, et chaque nouvelle charge le rapproche inéxorablement du campement de fortune où je me trouve.
Je ne suis pas seule dans cette tente, mais je suis la seule à ne pas dormir. J’attends, avec une impatience mélée d’anxiété que cet orage prenne forme, qu’il se rapproche et nous englobe. Je l’appelle de mes voeux. Qu’il fasse baisser la température infernale de cette nuit, qu’il nous isole du monde extérieur pour un court instant.
La pluie commence doucement à tomber. Elle s’écrase sur le tissu de notre abri, avec ce bruit caractéristique qui a bercé les étés de mon adolescence. Je reste allongée, sur mon matelas, à écouter le bruit de la pluie mêlé à la respiration calme de mon voisin. Il semble que je sois la seule à savoir que le ciel ne va pas tarder à abattre sa colère sur nous. Cette colère, je la souhaite épique, terrible et grandiose.
Les rafales de vent se font plus pressantes, le tonnerre plus sonore et je sais maintenant qu’il ne reste que quelques minutes de répit avant que le chaos ne s’abatte sur nous. Je n’ai pas peur, bien au contraire. Je suis inconsciente des arbres autour de nous, des dangers que cet orage pourrait nous faire courir. J’ai peur de mon ombre, mais pas des éléments.
Et soudain, une lumière vive éclaire l’intérieur de la tente. L’espace d’un instant, tout est illuminé. Sacs, chaussures, vêtements, rien n’échappe à cette clarté aveuglante. Puis le silence, quelques secondes avant un craquement sonore qui semble faire trembler le sol. L’orage est là, il est proche et il est féroce. Il s’est approché vite, plus vite que je ne l’avais anticipé, et il nous surplombe. Les éclairs se succèdent, le tonnerre les suit, de plus en plus rapproché, jusqu’à ce qu’une simultanéité nous donne l’information essentielle : l’orage est sur nous. La pluie s’est intensifiée et fait tellement de bruit qu’il est impossible de s’entendre parler. Seule la pensée existe maintenant au milieu de ce chaos.
Et moi, inconsciente du danger, protégée par une pièce de tissu d’une finesse extrême, je me délecte de ce chaos et de cette fureur. Je garde les yeux grands ouverts et m’esclaffe à chaque nouveau craquement. Je ris de plaisir, je ris de terreur, je ris d’assister d’aussi près à la puissance des éléments. Je me sens faire partie intégrante de cet orage, de cette nature, de cette colère salvatrice. Je me perds dans le bruit des gouttes qui s’écrasent comme un raz de marée. Je voudrais sortir de cette tente pour assister au spectacle, me dresser dans la tempête et qu’elle me lave, qu’elle me recharge ou qu’elle m’emporte.
Mais je n’en fais rien. Parce que j’en connais les dangers et parce que je ne suis pas seule. Alors j’attends. Que l’orage s’éloigne, que la pluie cesse, que cette odeur d’azote soit remplacée par le pétrichor, cette odeur si caractéristique du sol chaud après la pluie.
L’orage passe, le calme revient et le sommeil aussi. Comme si cette tempête avait balayé en moi toutes mes craintes, tous mes doutes, tout le mal. Ne reste que la tranquillité, la plénitude et cette langueur que la fraîcheur retrouvée apporte à nos corps.